Etude du Classement de l'église aux monuments historiques

Etude en vue d’une protection au titre des monuments historiques

Etude fait par la Direction régionale des affaires culturelles Hauts-de-France.
Blacourt (Oise), Eglise Saint-Martin

  • 000 page de garde

  • 00 place du village

  • 01 Façade nord, nef

  • 02 Façade sud, nef

  • 03 Façade sud

  • 05 Façade occidentale

  • 06 Façade sur , porche

  • 06 Façade sur , porche 1

  • 06 Façade sur , porche 2

  • 06 Façade sur , porche 3

  • 06 Façade sur , porche 4

  • 07 Façade nord, transept

  • 07 Façade sud, transept

  • 08 Chœur avec abside à trois pans 1

  • 08 Chœur avec abside à trois pans 2

  • 08 Chœur avec abside à trois pans 3

  • 09 Façade nord, sacristie

  • 10 Nef (vue depuis la croisée du transept)

  • 10 Nef (vue depuis le portail occidental)

  • 11 Nef, détail du plafond

  • 11 Nef, détail du plafond1

  • 12 Église, vue de la tribune

  • 13 Charpente, transept, les deux évangélistes Jean et Matthieu (deux manquants)

  • 13 Chœur ancien

  • 13 Chœur aujourd’hui

  • 14 Transept nord

  • 14 Transept sud

  • 15 Charpente, transept

  • 16 Charpente, chœur

  • 17 Chœur, datation et attribution de la charpente

  • 18 Charpente, poinçons sculptés

  • 19 Charpente, inscription de datations des restaurations sur les entraits

  • 19 Charpente, poinçons d’origine sculptés, détails

  • 20 Charpente, chœur, détail de polychromie

  • 21 Charpente, transept, détail de polychromie

  • 22 Charpente, transept, clé de voûte centrale ange

  • 23 Charpente-transept-les deux évangélistes Jean et Matthieu (deux manquants)

  • 24 Charpente, transept, éléments décoratifs flamboyants (lacunes)

  • 25 Charpente, transept nord, buste de profil (lacunes)

  • 25 Charpente, transept sud, buste de profil (lacunes)

  • 26 éléments décoratifs de remploi (église détruite de Molencourt )

  • 27 Vitraux de la nef et du transept nord

  • 28 Vitraux du chœur V. Guilbert, épisodes de la vie du Christ, 1877

  • 29 Verrières décoratives

  • 30 Statue de sainte Barbe

  • 31 Education de la Vierge par sainte Anne, XVIIe siècle , bois polychrome

  • 31 Retable de saint Martin évêque, XVIIIe siècle , huile sur toile

  • 32 situation ensemble et détail

La demande de protection au titre des monuments historiques.

La demande de protection déposée par I’ Architecte des Bâtiments de France a reçu un avis favorable de la délégation permanente de la CRPA le 30 mai 2013. La commune propriétaire est également favorable à une inscription au titre des monuments historiques.
L’église est fermée au public : elle n’accueille plus d’offices réguliers mais la célébration de mariages et d’enterrements. Elle est de plus ouverte lors des Journées Européennes du Patrimoine.

Étude réalisée par Perrine Fuchs, chargée de la protection au titre des monuments historiques à la CRMH, fév. 2023

Documents joints :

Argumentaire

Blacourt et son église

Blacourt est un bourg du Pays de Bray, situé entre Beauvais (Oise) et Gournay-en-Bray (Seine-Maritime).Il relevait du vidamé de Gerberoy, qui comprenait 160 fiefs et plus de 400 vavassories, puis du patronage de l’abbaye Saint-Germer1. Plusieurs hameaux dépendaient de Blacourt : Anfoy, Avelon, Courcelles, Hamel, La Boissière (moulin), La Fontaine-au-Mondet, La Haute-Rue, La Neau, La Vallée, Landrons, Le Méhet, Les Lihus, Lespinay et Molencourt (ce dernier est vendu en 1576 par l’abbaye de Saint-Germer à Jacques Coquault).

La seigneurie de ce lieu appartenait à la famille Couquault ou Coquault, qui devient en 1430 Coquault d’Avalon. Elle dépendait entre 1489 et le milieu du XVIe siècle de la baronnie de Hodenc-en-Bray qui appartenait à la maison de Monceaux.

Au milieu du XIXe siècle, la population de Blacourt, de 600 habitants, était principalement constituée de bûcherons et d’agriculteurs, ainsi que de quelques ouvriers potiers employés aux fabriques de Lachapelle-aux-Pots. Le village comptait également une fabrique de carreaux2 à la sortie du village.

L’église de Blacourt se situe au cœur du village, sur la rue principale qui desservait les différents commerces (café, hôtel restaurant, épicerie, maréchalerie … ). Orientée, c’est le portail de sa façade sud qui ouvre sur une place. Elle est de plan en croix latine avec nef unique, transept saillant et chœur à trois pans coupés. Ce plan simple est conforme aux proportions modestes d’une paroisse rurale.

La documentation sur l’église est très lacunaire. Nous basons notre analyse sur les inscriptions de la charpente et des éléments stylistiques3. Une étude approfondie d’archéologie du bâti, avec des analyses de dendrochronologie et de pigments, ainsi qu’un travail universitaire de recherche sur toutes les églises gothique flamboyant du Pays de Bray – qui dépassent le cadre de ce dossier de protection – permettraient sans nul doute d’apporter des précisions sur l’histoire de cette église.

Eléments de datation – description des extérieurs

La nef de l’église a vraisemblablement été élevée dans la première moitié du XIIe siècle, et a été largement remaniée depuis. Elle est construite en moellons de grès, un matériau que l’on trouve en abondance dans cette partie du Pays de Bray picard et qui y est de ce fait fréquemment employé (églises Saint-Denis de Hodenc-en-Bray, Saint-Brice de Cuigy-en-Bray ou Saint-Claude de Lhéraule, Saint-Nicolas de Glatigny etc.). La couverture est en ardoises. Cette nef unique s’ouvre sur une façade occidentale simple, percée d’un portail en anse de panier et d’une baie en plein-cintre surmontés d’un pignon triangulaire. La façade sud, ouverte par deux étroites baies en plein-cintre, est flanquée d’une galerie-porche en bois qui s’étend sur toute sa longueur. Sa disposition,
qui masque la partie basse des baies, et sa facture simple comparativement à celle d’autres porches XVIe siècle de la région, parfois sculptés (églises Saint-Sauveur de Fours-en-Vexin (Eure),
Saint-Clair de Flavacourt ou Saint-Quentin de Boutencourt etc.), font penser qu’elle remplace un porche plus ancien dont on ne connaît pas l’aspect.

Au début du XVIe siècle sont rebâtis le transept saillant et le chœur, terminé par une abside à trois pans. Les baies, aux remplages flamboyants, semblent avoir fait l’objet d’une réfection au XIXe siècle. Leur dessin – deux lancettes surmontées d’un soufflet dans chacun desquels est inscrit un petit arc trilobé – rappelle néanmoins celui de nombreuses églises voisines à Blacourt (églises Saint-Denis d’Ons-en-Bray, Saint-Martin de Senantes, Saint-Martin d’Espaubourg ou Notre-Dame du Coudray-Saint-Germer etc.). Quelques contreforts simples, massifs, sans pinacles, contrebutent transepts et chœur: la charge des charpentes et couvertures des églises lambrissées est en effet répartie par les sablières sur toute la surface du mur, contrairement aux églises avec un voûtement
en pierre qui nécessite de contrebuter les poussées des voûtes à chacun de leur point de retombée. La couverture est en tuile.

Un volumineux clocher en charpente et ardoises, carré à la base, octogonal ensuite, que termine une flèche octogonale effilée, domine la croisée. Il se distingue de la majorité des clochers plutôt implantés au-dessus du massif occidental. Il opère ainsi la transition entre la nef, plus basse, et les bras du transept et le chœur, plus élevés, dans une configuration proche de celle de l’église Saint-Denis d’Ons-en-Bray. Il a dû être monté en même temps qu’ont été refaits le chœur et le transept4.

La sacristie, accolée à un pan nord du chœur, a sans doute été adjointe au XIXe siècle. On trouve de nombreux exemples, dans le Pays de Bray picard (citons entre autres Saint-Martin et Saint-Fiacre d’Achy, Saint-Martin de Bonnières, Saint-Lucien de Crillon, Saint-Georges d’Hanvoile, Saint-Vaast d’Hancourt, Saint-Martin d’Hécourt ou Saint-Denis de Hodenc-en-Bray etc.), d’églises ayant conservé une nef romane à laquelle ont été adjoints un chœur et parfois un transept flamboyants au XVIe siècle, à la suite des prestigieux chantiers de reconstruction en Picardie, autour de 1500, qui ont suivi la guerre de Cent Ans : cathédrales de Senlis et Beauvais, églises de Rue, Abbeville, Folleville et Soissons, hôtels de ville de Compiègne, Noyon et Saint-Quentin, château de Rambures, etc.5. Ces reconstructions du XVIe siècle sont souvent réalisées sous l’impulsion et le financement des grands décimateurs. Aucun document ne nous permet, pour Blacourt, de connaître à ce jour avec certitude l’identité du commanditaire de cette restructuration. Une hypothèse sera toutefois proposée dans le paragraphe suivant.

Une charpente remarquable – description des intérieurs

Structure

L’élévation de la nef est très simple, avec des murs en plein enduits, dépourvus d’ornementation architecturale. Le plafond actuel de la nef a été monté en 1686 par E. Martel comme l’atteste une inscription sur une poutre. Une tribune, ajoutée dans les années 18406, surmonte l’entrée occidentale.

L’enduit blanc, les boiseries du XVIW et XIXe siècles et le pavement en tomettes à huit pans7 homogénéisent la nef ancienne avec le transept et le chœur du XVIe siècle. La simplicité, la planéité et la nudité des élévations, sans travées dessinées, est la conséquence du couvrement particulier de cette église : la remarquable charpente lambrissée en forme de carène renversée qui couvre le transept et le chœur. Elle est composée de deux berceaux qui se coupent à angle droit et déterminent à leur point d’intersection à la croisée du transept comme une voûte d’arêtes.

Une inscription en lettres gothiques sur la sablière surmontant le mur nord du chœur en donne, fait assez rare, la date et les noms de ceux qui l’ont construite. Louis Grave avait lu « L’an 1545 Jean Demourette (charpentier): et Jean Cabette (charpentier): Jean Dupré (menuisier) »8, mentions qui ont été reprises ensuite dans l’ensemble de la bibliographie. Nous lisons toutefois, avec confirmation de plusieurs seiziémistes et paléographes:« mil V C et XV Jan Damourette Jan Cabette Jan Dupré », c’est-à-dire « 1515 Jean Damourette (charpentier) Jean Cabette (charpentier) Jean Dupré (menuisier)». La construction de la charpente serait donc plus précoce que ce qui avait été envisagé jusque-là.

Les poinçons9 d’origine, de section hexagonale, sont remarquablement ouvragés. Ils sont sculptés sur toute la hauteur, avec des motifs d’écailles, motifs que l’on retrouve entre autres sur les charpentes des églises de Saint-Quentin des Prés ou de Labosse. Les deux poinçons de l’abside du chœur et celui de la nef ainsi que l’ensemble des entraits (excepté l’un de ceux du transept nord)10 sont plus bruts, sans décor sculpté, certainement car ils ont été refaits en 1811 et 1818, deux dates figurant sur ces entraits. D’après les archives, Jacques Joseph Josset, charpentier domicilié à Beauvais, a effectué les réparations de 181111, et Louis François Coquerel, charpentier de Blacourt, celles de 181812, ainsi que Boirel comme en témoigne l’inscription sur la dernière poutre de la nef. Peut-être certains des entraits d’origine étaient-ils dotés d’engoulants13, comme c’est le cas pour d’autres églises de la région (chapelle Saint-Blaise de Silly-Tillard, églises Sainte-Madeleine de TrieChâteau, Saint-Barthélémy-et-Saint-Pierre de Labosse, Saint-Martin d’Amblainville, Saint-Mathurin de Le Coudray-sur-Thelle, Notre-Dame de Mortefontaine-en-Thelle ou Notre-Dame de Villembray etc.).

Commanditaire

Peut-être la reconstruction de la partie orientale de l’église a-t-elle été financée par la famille de Monceaux, seigneur de Hodenc, Blacourt et Glatigny, au XVIe siècle. La famille de Monceaux s’installe au château de Hodenc et fait construire au début du XVIe siècle un nouveau chœur à l’église Saint-Denis de Hodenc, pour disposer d’un lieu de sépulture digne de son rang14. Le chœur et les chapelles de l’église de Hodenc doivent être regardés, malgré leurs dimensions relativement modestes, comme l’une des oeuvres majeures du gothique flamboyant dans l’ouest de l’Oise, en raison notamment de l’originalité de leur conception et de la qualité de leur réalisation. Il est possible que la famille de Monceaux ait fait reconstruire pour Hodenc, le centre de sa baronnie, un massif oriental avec voûtement en pierre richement travaillé, et qu’elle ait procédé en parallèle15 à l’agrandissement de l’église voisine de Blacourt, avec une charpente lambrissée, couvrement moins ambitieux mais courant dans les églises rurales de la région. Notons toutefois que l’écu tenu par l’ange de Blacourt (cf. paragraphe suivant) n’est pas celui de la famille de Monceaux.

Décors

Les bardeaux qui habillent les carènes semblent d’origine et les chevrons sur lesquels ils sont cloués sont, pour un certain nombre, peints et décorés ponctuellement de motifs sculptés avec une grande finesse. Les chevrons les plus fins sont rehaussée de couleurs vives (rouge, jaune, bleu) sur l’ensemble de la charpente, tandis que ceux plus larges sur les transepts et la croisée du transept sont ornés de motifs en noir et blanc au pochoir dans l’esprit des motifs de candélabre (a candelieri) de la Renaissance italienne. La couleur souligne les éléments structurels et ne couvre pas les lambris, comme c’est majoritairement le cas dans les églises lambrissées16 (églises Saint-Martin de Martincourt, Saint-Martin d’Ambrainville ou Saint-Denis de Hodenc-en-Bray etc.). Peut-être les poinçons et les entraits avaient-ils également été peints au XVIe siècle. Cette polychromie est relativement bien conservée et permet d’imaginer le rendu d’origine, contrairement à d’autres édifices dont la charpente et les lambris ont été entièrement repeints.

Les éléments sculptés sont quant à eux assez peu nombreux aujourd’hui, mais parce-que lacunaires. On peut faire l’hypothèse que chaque intersection des liernes et tercerons accueillait, dans le transept tout du moins, un motif sculpté. A la croisée du transept, une clé pendante est sculptée de deux anges dos à dos, l’un priant en regardant en direction de l’autel, l’autre tenant des armes non identifiées. Sur les quatre arrêtes de la voûte, entourant l’ange, se trouvaient les quatre évangélistes tenant des phylactères. En bas-relief, ils s’inscrivaient dans des quadrilobes. Il ne subsiste aujourd’hui que l’aigle de Jean et l’ange de Matthieu, ce dernier ayant vraisemblablement été restauré au XVW siècle comme en atteste notamment son visage L’association d’un ange en clé pendante centrale et des quatre évangélistes à la croisée du transept est une iconographie fréquente à la fin du Moyen Age. Enfin, de petits motifs géométriques végétalisés parsemaient vraisemblablement nombre de liernes et tiercerons secondaires. Peu d’entre eux sont aujourd’hui encore en place : certains fragments ont été retrouvés dans la sacristie, mais la plupart doivent être perdus. L’ensemble de ces éléments, richement polychromés, est caractéristique d’un décor gothique flamboyant. S’ajoutent dans les bras du transept des bustes de profil, qui relèvent quant à eux davantage du vocabulaire décoratif de la Renaissance italienne. Egalement lacunaires, surtout dans le transept sud, ils se singularisent par la finesse des traits des visages et la variété des coiffes et des vêtements, dans un travail qui s’apparente aux arts précieux. Si la charpente date bien de 1515, ces éléments ont vraisemblablement été apportés plus tardivement par un atelier de sculpteurs différent de celui qui a réalisé le reste du décor gothique. Notons que les charpentes des églises voisines SaintMartin d’Espaubourg17 et Saint-Vaast d’Haucourt18 ainsi que celle plus au sud de Saint-Barthélémy et Saint-Pierre de Labosse19 sont ornées de petits bustes de profil qui rappellent beaucoup ceux de Blacourt. Peut-être sont-ils la réalisation d’un même atelier itinérant. La dédicace de l’église d’Espaubourg le 29 mars 1541 permettrait de faire l’hypothèse d’une datation, pour l’ensemble de ces sculptures, autour des années 1540. Elles témoignent dans tous les cas de la pénétration de l’art de la Renaissance italienne, certainement à la suite du chantier, dans les premières années du XVIe siècle, du chantier du château de Gaillon (Eure). Enfin, quelques éléments sculptés semblent être des remplois d’un édifice plus ancien, peut-être ceux du chœur d’origine de Blacourt, ou peut-être ceux de l’église détruite du hameau voisin de Molencourt20. Situés dans le transept sud et dans l’entrée du chœur, ces poutres sont ornées de dragons dont la langue se transforme en pampres de vignes, datables entre le XIVe et le XVIe siècle.

Corpus des églises à charpentes lambrissées

Les églises à charpentes lambrissées en forme de carène renversée ne sont pas une innovation du XVIe siècle, puisqu’on en trouve déjà fréquemment dès le XIVe siècle. Cependant, comme elles sont constamment menacées par les incendies et les tempêtes, contrairement aux voûtements en pierre, peu d’exemples antérieurs au XVIe siècle nous sont parvenus. Elles ne sont pas non plus une spécificité des églises rurales du Pays de Bray, loin s’en faut : elles sont très nombreuses dans le Vexin français, le Vexin normand, le Vimeu et le Hainaut, régions qui bénéficient d’ailleurs de travaux de recherche à ce sujet21.

Un travail universitaire approfondi serait nécessaire pour étudier l’ensemble des églises à charpente lambrissées du XVIe siècle du Pays de Bray, et ainsi pouvoir précisément situer l’église de Blacourt dans ce corpus. Il permettrait de dépouiller toutes les sources d’archives disponibles, préciser les datations des édifices, inventorier les différentes typologies de charpentes, analyser les sculptures pour éventuellement mettre en valeur un ou des ateliers itinérants qui auraient pu travailler sur différents chantiers de la région, mais aussi définir les modèles qui ont pu nourrir leur travail tant en terme d’iconographie que de style, et notamment la pénétration de la Renaissance italienne. Ce travail permettrait enfin de comparer le corpus du Pays de Bray avec celui du Vexin et du Vimeu voisins, afin d’en souligner les points de convergence et les singularités.

Nous tenterons tout de même de tirer une modeste conclusion d’une première analyse superficielle de ce corpus, grâce aux photographies et aux précieuses informations collectées par Dominique Vermand sur son site Internet « Les Eglises de l’Oise ». Exceptées les exceptionnelles charpentes sculptée de la chapelle Saint-Blaise à Silly-Tillard et peinte de l’église Saint-Clair de Flavacourt, qui datent toutes deux du XIVe siècle, celle de Blacourt, de 1515, serait l’une des plus anciennes du corpus. Les charpentes coiffent tantôt la nef, tantôt le chœur, mais la croisée du transept de Blacourt, avec son imposant voûtement d’ogive octopartite, semble tout à fait remarquable dans ce corpus. Les églises voisines du village de Blacourt, Saint-Vaast d’Haucourt, Saint-Martin de Martincourt, Saint-Martin d’Espaubourg ou Saint-Christophe de Le Vauroux – étonnamment non protégées au titre des monuments historiques -, ainsi que les églises un peu plus éloignées Saint-Martin d’Amblainville (CMH 1982), Assomption de Notre-Dame de FontenayTorcy (CMH 1930) et Saint-Barthélémy et Saint-Pierre de Labosse possèdent également de très belles charpentes du XVIe siècle avec des décors sculptés et peints. Ceux-ci sont tantôt ornementaux (Martincourt) tantôt figuratifs (Fontenay-Torcy, Haucourt, Espaubourg, Le Vauroux), tantôt marqués par le gothique flamboyant (Martincourt, Amblainville, Fontenay-Torcy, Le Vauroux) tantôt teintés de l’influence de la Renaissance italienne (Haucourt, Espaubourg). D’autres églises possèdent elles-aussi des charpentes ornées, bien que plus modestement avec quelques engoulants ou motifs ornementaux, telles les églises Saint-Georges de Hanvoile, Saint-Denis de Hodenc-en-Bray (CMH 1995), Notre-Dame de Villembray (demande de protection en cours) et plus éloignées celles de Notre-Dame de Mortefontaine-en-Thelle et Saint-Mathurin de Le Coudray-sur Thelle – ou des charpentes sans décor, comme les églises Saint-André de Saint-André-Farivillers, Saint-Martin d’Oudeuil, Notre-Dame de Choqueuse-les-Benards, Saint-Nicolas de Cempuis ou encore Saint-Martin de Croutoy. Dans ce corpus, Blacourt se singularise par la richesse de ses décors peints et sculptés, la qualité de leur facture, la variété de leur iconographie – à la fois ornementaux et figuratifs-, ainsi que par l’association harmonieuse des vocabulaires de la tradition gothique flamboyant et des innovations de la Renaissance.

Restaurations

L’église en général, notamment les couvertures en ardoise et en tuile, mais également la charpente du clocher, du choeur et des transepts, ont été régulièrement entretenues et restaurées, par la fabrique et la commune, qui faisaient appel à des artisans locaux – de Blacourt, Gournay ou Beauvais – comme en attestent les documents du XIXe siècle conservés aux Archives départementales22.
Aujourd’hui, les lambris nécessitent une restauration d’urgence, et l’ensemble de la charpente mériterait une restauration approfondie après étude de la structure, des bois, de la polychromie et des sculptures.

Les vitraux

L’église possède trois vitraux anciens, dans la nef et le transept nord. L’un représente un évêque, l’autre sainte Anne précédée de deux chérubins et le dernier la charité de saint Martin. S’ils peuvent avoir été conçus au XVIe siècle, ils ont été très restaurés et modifiés depuis. Celui de Saint Martin qui porte une signature, et peut-être les deux autres également, ont été restaurés en 1971 par Claude Courageux. Il est ainsi difficile de les attribuer à un atelier qui aurait travaillé dans l’Oise au XVIe siècle23.
Les trois vitraux ornant les baies du choeur ont été offerts à l’église par Melle Elisabeth Bouffet et par les héritiers de François Hersent et de Rose Delettre24. Datés de 1877, ils sont signés «Guilbert». V. Guilbert possédait un atelier rue de l’infanterie à Beauvais, qui fonctionne au moins de 1876 à 1880. Ses oeuvres sont répertoriées dans l’Aisne, l’Oise, les Yvelines et le Val d’Oise25.
Sept scènes de la vie du Christ de belle facture figurent à Blacourt, dans un encadrement d’architecture néo-gothique flamboyant.

Des vitraux ornementaux des XIXe et XXe siècles complètent l’ensemble.

Les objets mobiliers26

Les objets mobiliers sont peu nombreux et pour certains en mauvais état de conservation. Soulignons l’intérêt particulier de la sainte Barbe en bois polychromé du XVIe siècle, classée au titre des monuments historiques par arrêté du 05/11/1912, et du groupe de sainte Anne et la Vierge en bois polychromé du XVW siècle. Le chœur conserve un bel ensemble de boiseries du XVIW siècle et un maître-autel dont le retable est en grande souffrance : le tableau montrant saint Martin en évêque mériterait une restauration fondamentale, au risque que la toile ne se détache complètement du châssis et ne se dégrade davantage.

1. Louis Graves, Précis statistique sur le canton du Coudray-Saint-Germer, arrondissement de Beauvais (Oise), Beauvais : Achille Desjardins, 1841, p. 73. (paragraphe sur Saint Germer)
2. Bertrand Fournier, Usine de céramique (usine de carrelages) Leclerc-Mary, puis Fontaine, puis Céramiques de Saint-Germer, puis Boulanger, Inventaire général - Région Hauts-de-France, Numéro de dossier : IA60002099, 2005.
3. Nous nous sommes largement appuyée, pour les datations et comparaisons, sur le site Internet « Eglises de l’Oise » de Dominique Vermand, URL : http://www.eglisesdeloise.com/
4. Des historiens locaux indiquent que le clocher a été remonté de l’église détruite de Molencourt, hameau voisin de Blacourt. Ce hameau est vendu en 1576 par l’abbaye de Saint-Germer à Jacques Coquault, seigneur de Blacourt. Leur source n’est toutefois pas citée : https://blacourt.fr/histoire/livre/histoire-et-souvenir/#article-239.
5. Etienne Hamon, Dominique Paris-Poulain, Aycard Julie. La Picardie flamboyante ; arts et reconstruction après la Guerre de Cent Ans. Actes du colloque d’Amiens 21-23 novembre 2012, Renne : Presses Universitaires de Rennes, 2015.
6. Archives départementales, cote 2 0 28113.
7. Le pavement est posé en 1851 par Aimé Lesueur demeurant à Blacourt, cf Archives départementales, cotes 2 0 28113 et EDT 139 2M1.
8. Louis Graves, Précis statistique sur le canton du Coudray-Saint-Germer, arrondissement de Beauvais (Oise), Beauvais : Achille Desjardins, 1841, p.44.
9. Pièce centrale verticale d’une charpente, reliant l'entrait et les arbalétriers.
10. Pièce de bois horizontale d’une charpente, qui sert à réunir les arbalétriers et qui est posée à ses extrémités sur les murs gouttereaux.
11. Archives départementales, cotes 2 0 28113.
12. Archives départementales, cotes EDT 139 2M1.
13. Extrémités des entraits sculptées en forme de gueule de dragons, de crocodiles ou de serpents.
14. Plusieurs membres de la famille de Montceaux sont inhumés dans le choeur : Gaspard (1607) et sa femme Jacqueline d'O ; Louis, leur quatrième fils ; et Charles, aumônier du roi, abbé commendataire de Saint-Germer-de-Fly, et fondateur d'une chapellenie à Hodenc en 1629.
15. Ne connaissant par la date exacte de la reconstruction de l’église de Hodenc-en-Bray, il n’est pas possible de savoir si le chantier de Blacourt est antérieur ou postérieur à celui de Hodenc.
16. Exceptions faites de charpentes remarquables comme celles des églises de Flavacourt (Oise) ou d’Heudicourt(Eure).
17. Sur les pannes qui divisent longitudinalement le berceau du chœur.
18. Sur les sablières du chœur.
19. Sur les pannes qui divisent longitudinalement le berceau de la nef.
20. C’est l’hypothèse d’historiens locaux qui toutefois ne citent pas leur source: https://blacourt.fr/histoire/livre/histoire-et-souvenir/#article-239.
21. Jacques Thiébaut, « L’architecture flamboyante : rayonnement et échange avec les provinces voisines du nord », in La Normandie au XVe siècle : art et histoire. Actes du colloque organisé par les Archives départementales de la Manche du 2 au 5 décembre 1998, Saint-Lô : Archives départementales, 1999 ; Richard Rivoire Monique, « Les églises lambrissées du XVIe siècle en Vexin normand », Mémoires de la Société historique et archéologique de Pontoise, du Val d’Oise et du Vexin, LXIV, 1972, p. 9-49.
22. Archives départementales, cotes 2 0 28113 et EDT 139 2M1.
23. Rafaël Villa, doctorant travaillant à l’université de Genève sur la famille de peintres verriers Le Prince de Beauvais, n’a pas identifié d’autres verrières du XVIe siècle pouvant se rapprocher de celles de Blacourt.
24. Les époux Hersent avaient donné un terrain destiné à l’établissement d’un nouveau cimetière en 1871, cf Archives départementales, cote 4 OP 5106.
25. Nadine-Josette Chaline (dir.), Le vitrail en Picardie et dans le Nord de la France aux XIXe et XXe siècles, Actes du colloque d’Amiens, 25 mars 1994, Amiens : Encrage, 1995, p. 23.
26. Récolement des objets mobiliers conservés dans l’église par Marie-Bénédicte Dumarteau, CAOA de l’Oise, Rapport

La proposition de protection

L’église Saint-Martin de Blacourt est tout à fait représentative des églises du Pays de Bray picard. La grande simplicité de la construction, du plan et des élévations ne la rend pas moins imposante au cœur de ce petit bourg. Sa nef en moellons de grès fondée au XVe siècle, son transept et son chœur reconstruits au XVIe siècle avec des baies gothique flamboyant et son volumineux clocher en charpente et ardoises qui coiffe la croisée du transept, sont caractéristiques des églises rurales du territoire.
Bon nombre d’églises de la fin du Moyen Age dans le Pays de Bray, et plus généralement dans le quart nord-ouest de la France, sont dotées non pas de voûtements en pierre mais de charpentes lambrissées en forme de carène renversée. Un travail approfondi de recherche universitaire serait nécessaire pour mieux appréhender ce corpus du Pays de Bray picard, peu étudié et pourtant particulièrement riche. L’analyse par comparaisons de cet ensemble permet dès à présent de distinguer plusieurs églises particulièrement remarquables, telles Saint-Vaast d’Haucourt, Saint-Martin de Martincourt et Saint-Barthélémy et Saint-Pierre de Labosse, qui mériteraient sans nul doute une protection au titre des monuments historiques. Saint-Martin de Blacourt se singularise quant à elle par sa charpente qui couvre à la fois le chœur et le transept, et forme un imposant couvrement octopartite à la croisée du transept. Celle-ci est datée par une inscription, fait rare, de 1515, ce qui établit un jalon intéressant dans le corpus.

Les éléments structurels de cette charpente sont soulignés par des polychromies bien conservées. La qualité des décors sculptés est à souligner, tant par la variété de leur iconographie – à la fois ornementaux et figuratifs – que par la belle association des vocabulaires de la tradition gothique flamboyant et des innovations de la Renaissance.

L’ensemble de vitraux des XVIe et XIXe siècles complètent harmonieusement le décor.

Nous proposons pour ces raisons une inscription au titre des monuments historiques de l’église Saint-Martin de Blacourt en totalité.

Amiens, février 2023
Perrine Fuchs

Sources et Bibliographie

Sources de première main.

Archives départementales de l’Oise :

Sources de seconde main.

Louis Graves, Précis statistique sur le canton du Coudray-Saint-Germer, arrondissement de Beauvais (Oise), Beauvais : Achille Desjardins, 1841, p. 43-44.

N-R. Potin de la Mairie, Recherches historiques, archéologiques et biographiques sur les possessions des Sires Normands de Gournay fa Bray Normand et le Bray Picard et sur toutes les communes de l’arrondissement de Neufchâtel, tome Il, Gournay, 1852. URL: https://www.google.fr/books/edition/Recherches historiques arch%C3%A9ologigues e/KUSH69WczFAC?hl=fr&gbpv=1&dq=Montceaux+hodenc&pg=RA1-PA128&printsec=frontcover.

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